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Zig-Zags dans la Savane...
26 décembre 2010

Rimbaud "Soleil et chair""

 

   Le Soleil , le foyer de tendresse et de vie, 
Verse l'amour brûlant à la terre ravie, 
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent 
Que la terre est 
nubile et déborde de sang ; 
Que son immense sein, soulevé par une âme, 
Est d'amour comme 
Dieu, de chair comme la femme, 
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons, 
Le grand fourmillement de tous les embryons !
Et tout croît, et tout monte ! 
      - 0 
Vénus, ô déesse!
Je regrette les temps de l'antique jeunesse, 
Des
 satyres lascifs, des faunes animaux, 
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux 
Et dans les nénuphars baisaient la 
Nymphe blonde! 
Je regrette les temps où la sève du monde, 
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts 
Dans les veines de
 Pan mettaient un univers! 
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre; 
Où, baisant mollement le clair 
syrinx, sa lèvre 
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ; 
Où, debout sur la plaine, il entendait autour 
Répondre à son appel la Nature vivante ; 
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante, 
La terre, berçant l'homme, et tout l'Océan bleu 
Et tous les animaux, aimaient, aimaient en Dieu! 
rimb
Je regrette les temps de la grande 
Cybèle 
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle, 
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ; 
Son double sein versait dans les immensités 
Le pur ruissellement de la vie infinie, 
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie, 
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux. 
Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux

Misère ! Maintenant il dit : 
je sais les choses, 
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes. 
-Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi, 
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi! 
Oh, si l'homme puisait encore à ta mamelle, 
Grande mère des dieux et des hommes, 
Cybèle ; 
S'il n'avait pas laissé l'immortelle 
Astarté 
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté 
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume, 
Montra son 
nombril rose où vint neiger l'écume, 
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs, 
Le 
rossignol aux bois et l'amour dans les cœurs !

II
Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère, 
Aphrodité marine ! - Oh ! la route est amère, 
Depuis que 
l'autre dieu nous attelle à sa croix ; 
Chair, marbre, fleur, Vénus, c'est en toi que je crois! 
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste. 
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus
 chaste
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu, 
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu, 
Son corps
 olympien aux servitudes sales ! 
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles 
Il veut vivre, insultant la première beauté! 
- Et l'idole où tu mis tant de virginité, 
Où tu divinisas notre argile, la Femme, 
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme 
Et monter lentement, dans un immense amour, 
De la prison terrestre à la beauté du jour, 
La 
ot;font-size: 14pt;">Femm e ne sait plus même être Courtisane
- C'est une bonne farce ! Et le monde ricane 
Au nom doux et sacré de la grande Vénus!

 

 

III Si les temps revenaient, les temps qui sont venus! 
- Car l'Homme a fini, l'Homme a joué 
tous les rôles
Au grand jour, fatigué de
 briser des idoles
Il 
ressuscitera, libre de tous ses Dieux, 
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux! 
L'idéal, la pensée invincible, éternelle, 
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle, 
Montera, montera, brûlera sous son front! 
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon, 
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte, 
Tu viendras lui donner la 
rédemption sainte! 
Splendide, radieuse, au sein des grandes mers 
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers 
L'Amour infini dans un infini sourire! 
Le Monde
 vibrera comme une immense lyre 
Dans le frémissement d'un immense baiser !

-
Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser. 

................................

IV O! splendeur de la chair! ô splendeur idéale! 
0 renouveau d'amour, aurore triomphale 
Où, courbant à leurs pieds
 les Dieux et les Héros
Kallypige la blanche et le petit Éros 
Effleureront, couverts de la neige des roses, 
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses! 
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots 
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots, 
Blanche sous le soleil, la voile de 
Thésée
0 douce vierge enfant qu'une nuit a brisée, 
Tais-toi ! 
Sur son char d'or bordé de noirs raisins
Lysios, promené dans les champs Phrygiens 
Par les tigres lascifs et les panthères rousses, 
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses. 
-
 Zeus, taureau, sur son cou berce comme une enfant 
Le corps nu 
d'Europé, qui jette son bras blanc 
Au cou nerveux du dieu frissonnant dans la vague. 
Il tourne lentement vers elle son œil vague ; 
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur 
Au front de Zeus; ses yeux sont fermés; elle meurt 
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure 
De son écume d'or fleurit sa chevelure. 
- Entre le laurier rose et le lotus jaseur, 
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur, 
Embrassant
 la Léda des blancheurs de son aile; 
Et, tandis que
 Cypris passe, étrangement belle, 
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins, 
Étale fièrement 
l'or de ses larges seins 
Et son ventre 
neigeux brodé de mousse noire, 
-
 Héraclès le Dompteur, qui, comme d'une gloire, 
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion, 
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon. 

Par la lune d'été vaguement éclairée, 
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée 
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus, 
La Dryade regarde au ciel silencieux... 
Dans la clairière sombre, où la mousse s'étoile, 
- La blanche 
Séléné laisse flotter son voile, 
Craintive, sur les pieds du bel 
Endymion
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon... 
- La Source pleure au loin dans une longue extase... 
C'est la 
Nymphe qui rêve, un coude sur son vase, 
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé. 
- Une brise d'amour dans la nuit a passé, 
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres, 
Majestueusement debout, les sombres Marbres, 
Les dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid, 
-
 Les dieux écoutent l'Homme et le Monde infini. 
Mai 1870

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